Rédaction
d’un compte-rendu critique :
ANDERSON, Interface.
Feed, ou comment nourrir son
esprit critique.
« Interface » est un roman détonnant mêlant les
genres du roman de formation à la dystopie. L’auteur plonge qui veut le lire
dans un monde futuriste aux mœurs pas si étrangères aux nôtres, tout en
multipliant les références aux grands classiques de littérature de science-fiction,
tels que Huxley, Orwell ou encore Wells. Malgré un style un peu lent, le rendu
final est plus qu’appréciable, et il l’est d’autant plus en considérant la visée pédagogique du roman de
formation qu’est ce livre…
Matthew Tobin Anderson est un écrivain américain,
originaire de Boston. Après de longue étude en littérature à Harvard ou encore
à Cambridge, l’auteur se laisse happer par la musique, ainsi devient-il disc-jockey,
ou encore critique musical avant de revenir vers son domaine de prédilection qu’est
la littérature. Il devient assistant éditorial dans l’édition pour la jeunesse
avant de finalement se laisser, lui-même, tenter par l’écriture. Interface qui est la traduction
française du titre originale Feed lui
vaut un grand succès avec lequel il remporta notamment deux prix. Anderson,
après avoir travaillé dans l’édition, sait ce qui plait, c’est pourquoi il a
choisi la science-fiction et plus précisément, la dystopie pour son roman,
sous-genre qui place le lecteur face à un futur possible que dénonce l’auteur. Ainsi,
dans ce livre, le lecteur est confronté à une société de consommation poussée à
l’outrance, incapable de penser par elle-même (Une puce électronique implantée
dans le cerveau s’en charge pour eux), une société capitaliste qui plus est, et
vivant dans un monde en déchéance où le niveau de CO² est maintenu uniquement
grâce à des usines construites à cet effet. Une planète en perdition à partir
de laquelle l’auteur entend bien mettre en garde ses jeunes lecteurs.
Concernant l’objet « livre »,
ce roman pour adolescent fût édité chez « Gallimard jeunesse » dans
la collection « Scripto », en 2004 pour la traduction française. Cette
collection est bien connue pour prendre sous son aile des textes qui
« dérangent », ou en tout cas dont le dessein est d’éveiller les
esprits du « troupeau aveugle ».
Rendre l’esprit critique de ses jeunes lecteurs aiguisé, voici à quoi s’engage Scripto. Interface n’est, de ce fait, pas un livre à prendre au premier
degré ou à ne lire rien que pour le plaisir, et si tel est le cas, le lecteur
est réellement passé à côté de la visée pédagogique du roman de formation, qui
est de pousser ses jeunes lecteurs à prendre du recul par rapport à l’histoire
à proprement parler pour adopter un raisonnement mature.
L’œuvre de M. T. Anderson, Interface, c’est avant tout, la vie trépidante d’un jeune
adolescent, Titus. Ce dernier, lors d’un voyage sur la Lune avec ses amis, va
faire une curieuse rencontre, celle de Violet, une jeune fille dont les idées
dérangent. Cette adolescente est en effet à part des autres en ce sens qu’elle
est libre de penser par elle-même. Elle porte un regard sévère sur le monde qui
l’entoure à propos de sujet divers tels que la suprématie des nouvelles
technologies, la pollution dans le monde, le devoir de mémoire,…
Cette différence la mènera, hélas,
à sa perte, dans un monde où le conformisme est la seule liberté laissée au
peuple. Quant à Titus, il commencera son long et laborieux périple qui le
mènera, un jour, à une possible prise de conscience. C’est donc autour d’une
romance entre deux jeunes adolescents dans un monde futuriste que l’auteur a
choisi d’écrire sa trame narratologique.
Les
deux jeunes protagonistes de l’histoire sont donc Titus et Violet, deux jeunes
ados à priori que tout rapproche mais si différents. Titus, représente le
conformisme, ce qu’est le « bien penser », il est comme 73pourcents
des jeunes américains pourvu d’une interface dont il ne saurait se passer. Le
choix de rendre le personnage assez froid et dur avec Violet ne favorise pas l’identification
par le jeune lecteur, ce qui peut, par contre, l’encourager à s’identifier à
Violet. Cette dernière est présentée comme victime de la société, issue d’un
milieu peu favorisé, elle n’acquiert son interface qu’à l’âge de 7 ans, le
triste hasard fera malheureusement que quelques années plus tard, elle sera la
proie d’un pirate. Toutefois, la réparation de son interface se serait faite
sans problème si elle n’avait pas été un « mauvais profil » de
consommatrice. Elle représente la rébellion, le « bon agir », elle
lutte quand d’autres aurait baissé les bras, elle est l’exemple à suivre. Choix
judicieux de l’auteur qui est de favoriser l’identification à ce personnage en
la rendant « martyre », puisque qu’elle est la personnification de l’esprit
critique et du « juste penser ».
Ce roman
d’Anderson se présente comme un pamphlet dénonçant les dérives de l’époque
actuelle. En critiquant une société dans laquelle il faut suivre la mode à tout
prix au risque de porter préjudice à soi-même, où les mots d’ordre sont la
technologie encore et toujours¹, une planète sur
laquelle l’air devient irrespirable et où il n’est plus possible d’avoir un
enfant naturellement à cause de la surexposition aux radiations, un monde dans
lequel le fossé entre riches et pauvres se creusent davantage chaque jour, et
où la devise tend à devenir : « Marche ou crève » (Violet en est
d’ailleurs l’exemple « type »), l’auteur incite le lecteur à réfléchir.
De plus, pour étayer ce qu’il dénonce, l’auteur prend appui sur d’autres œuvres
et d’autres écrivains qui, comme lui, se sont souciés de demain. Ainsi pour
ceux qui l’ont lu, Le meilleur des
mondes, d’Aldous Huxley grâce aux nombreux conceptianarium, ou encore par ce besoin d’être constamment dans un
état second grâce au soma pour Huxley, grâce aux bogues pour Anderson. D’autres
liens sont à faire avec le roman de Bradbury, Fahrenheit 451, à cause de cette omniprésence des écrans télé qui
captivent l’attention des gens au point de leur faire oublier la réalité dans Fahrenheit 451, et à cause de
l’interface qui remplace véritablement les liens interhumains et qui en vient à
les faire oublier dans Interface. Ainsi,
la plupart des discussions qu’entretiennent Titus et Violet se font-elles par
interface. Le troupeau aveugle de
Brunner également avec qui l’auteur entretient le souci de la nature. Ou bien
encore, dans 1984, d’Orwell, qui
dénonce une société de contrôle selon le Big Brother (Is watching you),
semblable à celle que dénonce Anderson. Dans 1984, également, l’auteur met en avant un appauvrissement de la
langue conduisant lui-même à une restriction des limites de la pensée…
« Ne voyez-vous pas que le véritable but du
novlangue est de restreindre les limites de la pensée ? »²
Et
même si Anderson ne le revendique pas explicitement, il décrit un monde où
aller à l’école n’est plus une obligation, et quand bien même on s’évertue à y
aller, c’est pour suivre des cours sur l’utilisation de l’interface. Le père de
Violet, ancien universitaire est décrié par tout qui l’approche et notamment
Titus :
« -Je n’ai pas
compris un seul mot de ce qu’il a dit.
-Il prétend que le
langage est en train de mourir. »³
Dès lors, les deux auteurs se
rejoignent. À la page 268 du roman, le père de Violet dit à Titus :
« (…) Va t’amuser parmi les Eloïs. »
p.268.
Faisant donc explicitement
référence au roman de Wells, La machine à
explorer le temps, en injuriant le jeune garçon d’ignare.
Anderson, dans son livre met tout
en œuvre pour pousser son lecteur à la réflexion de par le choix du genre
apprécié chez les jeunes adultes (dystopie), mais également grâce au genre de
roman de formation, et ensuite par la judicieuse description de Violet qui pousse
le lecteur à l’identification. Tout y est rassemblé afin qu’Interface ait une réelle portée
philosophique et morale chez les jeunes qui le liront.
Toutefois, parce qu’une œuvre n’est
jamais irréprochable, un adolescent de 15 ans ne comprendra peut-être pas toute
la subtilité des hommages que rend l’auteur aux grands écrivains, ce qui est regrettable…
Malgré tout, l’auteur d’Interface arrive,
par le biais de son roman à la visée pédagogique fixée par le roman de
formation.
¹
Impossible de lire ce livre sans penser à la nouvelle création de Google :
projet glass
² Extrait in: ORWELL (G.), 1984, éd. Folio, pp. 74.
³ Extrait in: ANDERSON (M.T.), Interface, éd.
Gallimard jeunesse, “coll. Scripto”, p.132.
Livre qui semble intéressant... Concernant les références aux auteurs,... ce sera probablement ton rôle de décrypter ces allusions avec les élèves...
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